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Sur la mise en cause de la responsabilité d’un constructeur par un autre cocontractant dans le cadre de l’exécution de marchés publics de travaux

Quels étaient les faits de l’espèce ?

Une commune et un établissement public foncier avaient attribué plusieurs marchés publics de travaux en lots séparés pour la réalisation d’un pôle éducatif et familial.  

La société X était chargée du lot gros œuvre, dont la livraison est intervenue six mois après la date initialement prévue.  Estimant qu’une partie de ce retard était imputable à la société Y, chargée du lot charpente, elle a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la société Y à lui verser une somme de plus de 380 000 euros au titre des frais exposés en raison de son retard dans l’exécution des travaux, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle.  

Le tribunal administratif de Rouen puis la cour administrative d’appel de Douai ont rejeté sa demande.

Quelle est la problématique ?

Si la société X et la société Y ont chacune conclu un marché public de travaux avec la commune et l’établissement public foncier, elles n’ont en revanche aucune relation contractuelle entre elles.

La jurisprudence applicable jusqu’alors empêchait un tiers au contrat de se prévaloir de l’inexécution dudit contrat dans le cadre d’une action en responsabilité quasi délictuelle, seules les parties au contrat pouvant s’en prévaloir.

Si la haute juridiction avait admis que le titulaire d’un marché public puisse rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction (via un recours direct ou via une action récursoire), il n’avait pas précisé le type de fautes dont le titulaire pouvait se  prévaloir (CE 5 juillet 2017, société Eurovia Champagne-Ardenne et Colas  Est, n° 396430).

 La question qui se posait en l’espèce aux juges était donc la suivante : la société X (tiers au contrat conclu entre la société Y et les acheteurs publics) peut-elle se prévaloir de la faute contractuelle de la société Y (par exemple le non-respect des délais fixée au contrat conclu avec les acheteurs publics) pour obtenir réparation de ses préjudices ?

La solution apportée par le Conseil D’État

D’abord, les conclusions du rapporteur public permettent d’affirmer que les juges ont tenu compte de la particularité de l’opération de construire, au cours de laquelle interviennent plusieurs sociétés, qui n’ont pas conclu de contrat entre elles, mais dont les éventuels retards ou défauts de transmission d’informations importantes vont forcément impacter les autres.

Pour le rapporteur public, il y avait lieu d’adopter une solution plus équitable : « Une entreprise qui subit un préjudice du fait de la défaillance d’une autre entreprise doit pouvoir lui en demander réparation, pour un simple retard de quelques semaines et non pas seulement pour des cas graves ».

Le Conseil d’État pose donc le principe suivant : 

« Dans le cadre d’un litige né de l’exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n’est lié par aucun contrat, notamment s’ils ont commis des fautes qui ont contribué à l’inexécution de ses obligations contractuelles à l’égard du maître d’ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l’art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d’un manquement aux stipulations des contrats qu’ils ont conclus avec le maître d’ouvrage ».

Désormais, « tout constructeur participant à une opération de travaux publics qui  subit un préjudice direct et certain du fait d’une faute commise par un autre constructeur à  cette même opération – constructeur auquel il n’est pas lié par un contrat – peut lui en  demander réparation sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle, en précisant que la faute peut résulter d’une méconnaissance de dispositions législatives ou réglementaires ou d’un manquement aux règles de l’art, mais aussi de la méconnaissance des stipulations du contrat conclu avec le maître d’ouvrage ».

Sources :

CE 11 octobre 2021 n° 438872 

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000044190309?init=true&page=1&query=438872&searchField=ALL&tab_selection=all

Conclusions de Mme Mireille LE CORRE sous l’arrêt susvisé http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2021-10-11/438872