Jusqu’ici, un requérant souhaitant contester un acte réglementaire pouvait soit introduire un recours pour excès de pouvoir (aux fins d’annulation de l’acte règlementaire); soit demander son abrogation à l’administration (puis au juge si l’administration refuse).
Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, le juge apprécie la légalité d’un acte administratif à la date à laquelle cet acte a été pris. Si le juge estime l’acte illégal, il en prononce l’annulation (entraînant ainsi sa disparition rétroactive).
Or, le droit ou les conditions de fait peuvent avoir évolué entre la date à laquelle l’acte a été édicté, et la date à laquelle le juge statue.
On peut donc se retrouver dans la situation suivante : le juge déclare l’acte légal et rejette la requête à son encontre, alors même qu’entretemps, suite à un changement de circonstances de droit ou de fait intervenues entre l’édiction de l’acte et la décision du juge, il sait que ledit acte est devenu illégal. En effet, le requérant ne pouvait jusqu’ici pas utilement faire valoir que des circonstances postérieures à son édiction avaient rendu l’acte illégal.
C’est ici qu’intervient une révolution dans l’office du juge de l’excès de pouvoir : par un arrêt du 19 novembre 2021, le Conseil d’État permet au requérant de demander au juge, à titre subsidiaire, de prononcer l’abrogation d’un acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction :
“Ainsi saisi de conclusions à fin d’annulation recevables, le juge peut également l’être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation du même acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu’un acte règlementaire est susceptible de porter à l’ordre juridique. Il statue alors prioritairement sur les conclusions à fin d’annulation.
Dans l’hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d’annulation et où l’acte n’aurait pas été abrogé par l’autorité compétente depuis l’introduction de la requête, il appartient au juge, dès lors que l’acte continue de produire des effets, de se prononcer sur les conclusions subsidiaires. Le juge statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.
S’il constate, au vu des échanges entre les parties, un changement de circonstances tel que l’acte est devenu illégal, le juge en prononce l’abrogation. Il peut, eu égard à l’objet de l’acte et à sa portée, aux conditions de son élaboration ainsi qu’aux intérêts en présence, prévoir dans sa décision que l’abrogation ne prend effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine”.
Cela revient donc à ce que le juge administratif apprécie la légalité de l’acte attaqué au jour de la décision de Justice.
Le fameux recours pour excès de pouvoir fait l’objet d’une révolution prétorienne. L’arrêt apporte “un outil contentieux de plus au service la mission impartie au recours pour excès de pouvoir… Il faut, au risque d’une justice administrative perçue comme étant coupée du contexte dans lequel elle rend ses décisions, privilégier une approche fonctionnelle du recours pour excès de pouvoir sur une conception figée de l’orthodoxie conceptuelle” (conclusions Roussel).
Sources:
Conseil d’État, Section, 19/11/2021, 437141
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000044346451?isSuggest=true
Conclusions de Madame Sophie Roussel, Rapporteure publique,
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2021-11-19/437141?download_pdf