Quels sont les risques pour l’entreprise ?
Les offres reçues hors délai sont éliminées (article R. 2151-5 du code de la commande publique).
L’entreprise qui n’arrive pas à déposer son offre sur la plateforme de dématérialisation avant la date et l’heure limite fixée par le pouvoir adjudicateur verra sont offre éliminée. Purement et simplement. Même s’il s’agit de quelques secondes de retard. Il n’y a pas de solution miracle et l’acheteur public qui admettrait une offre tardive entacherait la passation du marché public d’irrégularité.
Les tribunaux administratifs se sont révélés assez sévères avec les entreprises et ont par exemple estimé que le candidat qui avait démarré son envoi 3 heures avant l’heure limite et avait rencontré des lenteurs de transmission, n’avait pas été assez diligent.
Pour que leur offre soit examinée, les entreprises devaient donc démontrer un dysfonctionnement de la plateforme… Rien de moins simple, cela impliquant des connaissances informatiques ou une connaissance précise du fonctionnement de la plateforme, et idéalement la présence d’un huissier prêt à constater le dysfonctionnement…
Quelle est la portée de l’arrêt du Conseil d’État ?
Le Conseil d’Etat « facilite » les choses pour les entreprises en cas de difficultés à télécharger leur offre, puisque la haute juridiction estime que l’offre de l’entreprise ne pourra pas être rejetée pour tardiveté si :
- l’entreprise démontre avoir accompli en temps utile les diligences normales attendues d’un candidat pour le téléchargement de son offre sans faute ni négligence ;
- et l’entreprise démontre que le fonctionnement de son équipement informatique était normal.
Si ces deux points sont démontrés, c’est que la plateforme de dématérialisation dysfonctionne… l’offre de l’entreprise ne peut donc pas être rejetée et doit être analysée, notée et classée.
Il revient par conséquent à l’acheteur public de démontrer le bon fonctionnement de sa plateforme. C’est sur lui que pèse la charge de la preuve, puisque c’est lui qui doit fournir une plateforme dématérialisée fonctionnelle.
Les conclusions du rapporteur public Pichon de Vendeuil sont très claires sur ce point : « en l’absence de tout élément déterminant quant aux causes du dysfonctionnement, le doute doit peser sur celui qui est tenu à l’obligation d’offrir aux candidats un dispositif qui fonctionne correctement. C’est, nous semble-t-il, la logique du système mis en place par le code de la commande publique ».
Que s’était-il passé en l’espèce ?
La société candidate devait remettre son offre avant 11h30 le 13 novembre 2020.
Le représentant de la société s’est connecté sur le site peu avant 10h30 mais a rencontré des difficultés de connexion. Après avoir essayé de se connecter depuis un autre poste, il a fait part de ses difficultés à son contact auprès de l’acheteur public, qui lui a conseillé de verser séparément les différentes pièces de l’offre. C’est ce que la société a fait, mais n’a réussi à tout télécharger qu’une heure environ après la fin du délai de remise des offres…
Il est à noter que la société avait pris soin de produire copie des échanges téléphoniques et électroniques adressés à l’acheteur public lui faisant part des difficultés à télécharger sur la plateforme dédiée son offre finale entre 10H30 et 11H30 le 13 novembre 2020.
L’acheteur public affirmait de son côté qu’aucun dysfonctionnement n’avait été constaté au cours du créneau horaire concerné et produisait un document graphique représentant le nombre de sessions sur sa plateforme le 13 novembre 2020 ; ce document montrait une augmentation des connexions sur le créneau horaire en cause et l’absence de saturation. L’acheteur public produisait également un relevé des connexions à la plateforme.
Les juges ont toutefois estimé que ce document ne permettait pas de connaître l’état de l’ensemble des connexions à la plateforme entre 10H30 et 11H30 puisqu’il ne faisait apparaître que trois fichiers téléchargés, relatifs au marché litigieux, entre 10H29 et 10H35 et ne mentionnait pas la connexion de la société, alors qu’elle démontrait bien s’être connectée à 10h27 pour télécharger les fichiers de son offre finale, téléchargement qui ne s’est terminé qu’à 12h46.
Les juges ont ensuite relevé que les documents produits par l’acheteur public démontraient qu’un autre candidat s’était connecté sur le même créneau et qu’il avait pu télécharger son offre en 6 minutes…
Ce qui démontrait bien que la lenteur de la plateforme rencontrée par la société n’était pas normale.
Enfin, les juges ont rappelé que l’absence de dépôt d’une copie de sauvegarde ne pouvait être reproché à la société, ou considéré comme une négligence de sa part, dans la mesure où la transmission d’un tel document était simplement facultative.
Conclusion, pour les sociétés candidates aux marchés publics :
- conservez trace (copies, captures écran, constats d’huissier etc.) de toute mesure prise pour tenter de déposer votre offre, notez l’heure, essayez depuis plusieurs postes, appelez les numéros de téléphone de l’acheteur public et du gestionnaire de la plateforme (et envoyez des mails) pour signaler vos difficultés et essayer de trouver une solution,
Ces précautions sont importantes. Le rapporteur public a ainsi bien relevé qu’« il ne suffira pas au candidat d’alléguer qu’il s’était connecté avant l’expiration du délai mais il lui faudra établir avoir accompli les diligences normalement attendues de lui, notamment prouver qu’il s’est connecté en temps utile, qu’il a rencontré des difficultés qu’il ne pouvait surmonter et apporter tous les éléments en sa possession sur le bon fonctionnement de son propre équipement ».
- essayez de vous connecter au moins une heure avant l’heure limite de dépôt des offres.
Ici encore, le rapporteur public a pris la peine de rappeler « qu’une connexion trop tardive pour que l’ensemble des documents puissent être téléchargés avant l’heure limite conduirait de toute façon à regarder l’offre comme tardive, quels que soient les problèmes techniques rencontrés ».
Sources :
Tribunal administratif de Paris, ordonnance du 15 janvier 2021, n° 2021714 ;
Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 23 septembre 2021 n° 449250 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000044097089 ;
Conclusions de Marc PICHON de VENDEUIL sous l’arrêt susvisé du Conseil d’État http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2021-09-23/449250